Bettina Rheims condamnée pour acte de contrefaçon d’une oeuvre dite « conceptuelle »

1ière ch.civ, Cour de cassation 13 novembre 2008

Dans un arrêt en date du 13 novembre 2008, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a confirmé la décision de la Cour d’appel de Paris qui avait condamné Bettina Rheims pour acte de contrefaçon.

Pour la première fois, la Cour de cassation est amenée à se prononcer sur les conséquences d’une reproduction d’une oeuvre jugée « conceptuelle » impliquant sa protection par le droit positif.

Pour rappel, Jakob Gautel, artiste/plasticien allemand, réalise une oeuvre intitulée « Paradis » pour l’exposition organisée en 1990 à l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard. Il a apposé le mot « Paradis » en lettre d’or au dessus de la porte des toilettes de l’ancien dortoir des alcooliques de l’établissement.

En 2002, Bettina Rheims photographie son oeuvre sans son consentement pour la réalisation d’un tryptique intitulé la « Nouvelle Eve » exposé et offert à la vente puis reproduit dans l’ouvrage INRI édité par Albin Michel.

L’inscription « Paradis » apparaissant sur les photographies de Bettina Rheims, Jakob Gautel intente à l’encontre des susnommés une action en contrefaçon.. Les juges du fond font droit à sa demande et condamne la photographe à verser 30 000 euros de dommages et intérêts.

Suite à cette condamnation, Bettina Rheims se pourvoie en cassation. Moyens au pourvoi :

  1. que faute d’avoir caractérisé en quoi avait consisté la création de cette oeuvre – un mot, d’une typographie banale, fût-il combiné à d’autres éléments préexistants, ne constituant pas une création –, l’arrêt attaqué a violé l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle ;
  2. qu’en tout état de cause, cette oeuvre n’étant que l’expression d’une idée – détourner le sens d’un lieu par une inscription en décalage -, la forme retenue par la cour d’appel existant indépendamment de l’idée, l’arrêt attaqué ne pouvait déclarer qu’il s’agissait d’une oeuvre protégée par le droit d’auteur, sans violer de plus fort l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle ;
  3. qu’une idée, fût-elle originale, ne saurait bénéficier de la protection du droit d’auteur ; que l’oeuvre de J… Y… se réduisait à une idée, à savoir donner un nouveau sens à un lieu ; qu’ainsi l’arrêt attaqué ne pouvait énoncer que l’oeuvre de J… Y… était originale sans violer l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle ;
  4. que l’originalité d’une oeuvre ne saurait se déduire de choix matériels effectués par l’auteur sur des éléments préexistants ; qu’ainsi, l’arrêt attaqué, en énonçant que l’oeuvre de J… Y… était originale tant dans la typologie des lettres retenues du mot « Paradis » que dans le choix du lieu de son inscription, partie intégrante de l’oeuvre, n’a pas justifié sa décision au regard de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle ;

Décision :

« Mais attendu que l’arrêt relève que l’oeuvre litigieuse ne consiste pas en une simple reproduction du terme “Paradis”, mais en l’apposition de ce mot en lettres dorées avec effet de patine et dans un graphisme particulier, sur une porte vétuste, à la serrure en forme de croix, encastrée dans un mur décrépi dont la peinture s’écaille, que cette combinaison implique des choix esthétiques traduisant la personnalité de l’auteur ; que de ces constatations et appréciations souveraines faisant ressortir que l’approche conceptuelle de l’artiste, qui consiste à apposer un mot dans un lieu particulier en le détournant de son sens commun, s’était formellement exprimée dans une réalisation matérielle originale, la cour d’appel en a à bon droit déduit que l’oeuvre bénéficiait de la protection du droit d’auteur ; que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches »