La loi sur la numérisation des livres indisponibles du XXème siècle

La loi sur les livres indisponibles du XXème siècle a été votée par l’assemblée nationale le 22 février dernier. Elle propose de rendre à nouveau disponibles les livres publiés en France avant le 1er janvier 2001 et qui ne font plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur, ni imprimée, ni numérique (environ 500 000 titres). La liste de ces œuvres sera établie par la BnF et fera l’objet d’une publicité indispensable à l’information des auteurs avant toute numérisation, puisque les titulaires de droit auront la faculté de ne pas entrer dans ce dispositif, mais devront effectuer la démarche. A défaut, les droits seront exercés par une société de perception et de répartition, gérée à parité par des auteurs et des éditeurs, et les livres concernés feront l’objet d’une numérisation par la BnF et d’une exploitation par l’éditeur d’origine ou un tiers. La SGDL considère qu’il s’agit d’un projet équilibré, qui apporte à l’auteur des garanties sur le respect de ses droits et qui définit clairement les obligations de l’éditeur. Les questions qu’il soulève n’ont pas été esquivées et ont fait l’objet de réponses satisfaisantes.

I – Pour l’auteur, les intérêts majeurs de la loi sont les suivants

1/ Dans tous les cas s’il choisit de rester au sein du dispositif, l’assurance d’une nouvelle diffusion de ses livres indisponibles et d’une rémunération à hauteur de 50% minimum sur les droits recouvrés par une société de gestion collective paritaire auteurs/éditeurs ; le projet ne concerne que les livres indisponibles, pour lesquels il ne percevait donc jusque-là aucun revenu en droits d’auteur ; le droit, s’il le souhaite, de refuser la numérisation et la diffusion pour tous ou certains de ses livres indisponibles, dans une période de six mois à compter de la publication de la liste des œuvres concernées, sans obligation d’exploitation ; le droit de sortir à tout moment du dispositif s’il juge que l’exploitation numérique des œuvres porte atteinte à son honneur ou à sa réputation, sans indemnisation de sa part ; l’exploitation numérique est sans influence sur ses possibilités de récupérer ses droits sur le livre imprimé en cas d’épuisement ; les attributs du droit moral restent préservés dans tous les cas

2/ Si l’auteur a récupéré ses droits pour l’exploitation « papier » il récupère 100% des droits d’auteur issus de l’exploitation de l’ouvrage par la société de gestion collective, s’il choisit de rester dans le dispositif ; il peut s’opposer à une exploitation exclusive par l’éditeur d’origine ; il peut à tout moment sortir du dispositif et garde toute sa liberté sur les modalités d’exploitation de ses œuvres, par lui-même ou par un tiers

3/ Si l’auteur n’a jamais cédé ses droits numériques ou s’il les a récupérés il peut sortir à tout moment du dispositif et garder toute sa liberté sur les modalités d’exploitation de ses œuvres, y compris dans le cas où les droits pour l’exploitation « papier » seraient toujours détenus par l’éditeur

II – Les obligations de l’éditeur

1/ Si l’éditeur et l’auteur ont choisi d’entrer dans le dispositif de gestion collective l’éditeur doit diffuser le livre dans les trois ans suivant sa notification d’acceptation de l’exploitation ; l’exploitation du livre par l’éditeur dans le cadre de ce dispositif ne préjuge pas de son obligation d’exploitation permanente et suivie : l’auteur garde donc la faculté de récupérer ses droits pour l’exploitation imprimée, dans les conditions prévues actuellement par le Code de la Propriété intellectuelle ; l’éditeur peut sortir à tout moment du dispositif, mais avec l’accord de l’auteur

2/ Si l’éditeur a choisi de ne pas entrer dans le dispositif l’éditeur a, contrairement à l’auteur, l’obligation d’exploiter le livre dans les deux ans suivant sa notification de sortie du dispositif Pour toutes ces raisons, la SGDL a soutenu ce projet depuis le départ. Malgré les critiques que peut susciter un dispositif compliqué, dont la lecture du texte de loi ne permet pas d’appréhender toutes les modalités, nous n’y trouvons que de nouvelles opportunités pour les auteurs concernés et le déblocage d’une situation absurde qui enfermait ces livres dans les réserves des bibliothèques.

III – Les réponses aux questions des auteurs

1/ Ce dispositif, fondé sur le retrait et non sur l’autorisation préalable, préserve-t-il suffisamment les droits de l’auteur ? Des garanties argumentées ont été apportées par le Ministère de la Culture sur la constitutionnalité du dispositif, en particulier sur l’absence d’accord exprès des ayants droit. Les conditions de constitutionnalité ont été respectées : le dispositif obéit à des fins d’intérêt général ; le droit moral demeure intact ; la présomption d’accord est réfragable selon une procédure simple ; une rémunération est prévue et doit être versée même si l’intéressé se manifeste ultérieurement Il ne s’agit donc pas d’un dispositif équivalent à celui mis en place par Google, les éditeurs et les auteurs américains dans le cadre du Settlement du 28 octobre 2008, qui faisait suite au procès sous forme d’action collective engagé par les éditeurs et les auteurs américains contre Google puisque : c’est l’ensemble du corpus des livres indisponibles qui sera numérisé et diffusé sur base du dépôt légal à la BnF ; les « entrefilets » (snippets) parce qu’ils portent atteinte au droit moral (intégrité de l’œuvre) n’ont pas été autorisés. l’auteur a la possibilité de sortir avant toute numérisation et diffusion du livre ; l’auteur percevra une rémunération pour l’exploitation de ses livres Nous rappelons par ailleurs que la SGDL est intervenue volontairement, ainsi que le Syndicat national de l’Édition, au procès intenté en 2006 par les Éditions La Martinière à Google, qui numérisait des ouvrages sans autorisation préalable et dans des conditions jugées par les magistrats du Tribunal de Grande Instance de Paris le 18 décembre 2009 comme attentatoires au droit moral des auteurs. 2/ Comment savoir si je dispose de mes droits sur une œuvre indisponible imprimée ? Le corpus concerné est constitué des livres commercialement indisponibles, et non des seules œuvres épuisées. L’indisponibilité ne signifie pas que les auteurs ont automatiquement récupéré les droits sur ces livres pour une exploitation imprimée. Il leur faut pour cela avoir effectué une démarche consistant à démontrer l’épuisement des stocks, ou avoir reçu une lettre de leur éditeur les informant qu’il leur rendait les droits. Ces cas restent marginaux au regard des 500 000 titres concernés. Rappelons que si l’auteur désire effectuer ces démarches sur des livres numérisés dans le cadre de cette loi, cela lui reste loisible : la loi stipule en effet que cette exploitation numérique spécifique ne préjuge pas de l’exploitation permanente et suivie du livre imprimé. Rappelons également que les auteurs qui avaient récupéré leurs droits ne pouvaient utiliser la maquette de l’éditeur, devaient financer eux-mêmes la numérisation et compter sur leurs seuls moyens pour assurer la diffusion, gratuite ou payante. Ils pourront, s’ils restent dans le dispositif, faire financer la numérisation par la BnF et recevoir 100% des droits perçus par la société de gestion. Les difficultés énumérées ci-dessus expliquent sans doute que la plupart des auteurs qui ont récupéré leurs droits ont rarement exploité leurs propres titres. Ce nouveau dispositif est donc pour eux sécurisant tout en restant avantageux. 3/ Comment savoir si je dispose de mes droits numériques ? Seul le contrat d’édition (ou un avenant, ou un courrier de l’éditeur) peut le garantir. Si les droits numériques n’ont pas été explicitement cédés, ils demeurent à l’auteur. Si les droits numériques ont été cédés sans contrepartie (rémunération propre à ce support d’exploitation), un avenant est nécessaire avant toute exploitation par l’éditeur (en dehors de ce nouveau processus), mais ces droits cédés sont bloqués sauf décision d’un tribunal. Si ces droits ont été cédés de manière trop vague, en particulier dans une « clause d’avenir » (« sur tout support connu ou inconnu, présent ou à venir »), la cession serait contraire aux dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle et l’auteur devrait pouvoir disposer de ses droits. À noter que dans ce dernier cas, aucune jurisprudence ne donne pour l’instant une totale sécurité. Il est préférable de demander conseil avant toute exploitation. 4/ Ce dispositif englobe-t-il les œuvres orphelines ? Le dispositif de gestion collective s’appliquera également aux œuvres présumées orphelines, c’est-à-dire aux livres dont le ou les titulaires de droits n’auront pu être retrouvés et qui feront donc également l’objet d’une rémunération pour leur exploitation. Cette rémunération servira notamment à la recherche des ayants droit de ces œuvres. Dans l’hypothèse où ces derniers ne seraient toujours pas retrouvés dix ans après la date de la première exploitation, la société de gestion collective pourra autoriser à titre gratuit une exploitation de ces œuvres par les bibliothèques publiques. Toutefois, si l’un des ayants droit se fait connaître postérieurement à cette autorisation, il peut obtenir le retrait de cette autorisation gratuite. La possibilité, grâce à ce projet, de financer une recherche diligente des ayants droit qui ne soit pas de façade est un des intérêts majeurs de ce dispositif. 5/ Serai-je averti de la numérisation et de la diffusion de mes livres ? Si la SGDL est largement favorable à ce projet, elle est pleinement consciente de la nécessité, pour tous, de veiller à ce que les moyens d’information des auteurs, et de leurs éditeurs, soient suffisants pour permettre, dans la période de six mois, à ceux qui le souhaiteraient de ne pas entrer dans le dispositif. Les associations et les sociétés d’auteurs auront un rôle particulier à jouer pour assurer cette information auprès du plus grand nombre. Ce n’est pas la loi, mais un décret qui définira ces moyens, mais les éditeurs comme les sociétés d’auteurs devront veiller à avertir les auteurs concernés. 6/ Les éditeurs qui exploiteront dans le cadre du droit de priorité seront-ils rémunérés en plus de leurs revenus d’exploitation ? Non. C’est une question qui a été soulevée, puisque les revenus de la société de gestion collective seront répartis entre auteurs et éditeurs, et qu’une priorité sera donnée à l’éditeur d’origine pour l’exploitation. Il conviendra donc de veiller, au sein de la société de gestion et de répartition, à ce que, lorsque les éditeurs d’origine diffuseront eux-mêmes les livres, ils ne perçoivent pas deux fois sur les revenus d’exploitation : en tant qu’exploitant et en tant que titulaire de droit. Il est entendu que le partage à 50% – 50% ne pourrait intervenir que dans les cas où c’est un tiers qui exploite. La SGDL sera particulièrement vigilante sur ce point, qui a été posé comme une condition nécessaire à son accord. 7/Le droit d’auteur est-il inaliénable ? Une pétition lancée contre cette loi a pour titre « Le droit d’auteur doit rester inaliénable ». Rappelons que le droit d’auteur se compose d’un droit moral qui est inaliénable mais aussi de droits patrimoniaux (reproduction et représentation) qui, eux, sont bien évidemment cessibles. Il est donc inexact de parler d’inaliénabilité des droits patrimoniaux, car cela conduirait purement et simplement à interdire tout contrat d’édition, fondé sur la cession de ces droits. La loi sur la numérisation des livres indisponibles du XXe siècle ne porte explicitement que sur les droits patrimoniaux et garantit par conséquent l’inaliénabilité du droit moral. Il va de soi que la SGDL s’opposerait immédiatement à toute tentative d’aliénation de ce droit qui naîtrait d’une interprétation abusive du texte de loi. Si elle regrette que le vaste mouvement né de cette pétition soit fondé sur la confusion entre les deux composantes du droit d’auteur, elle se réjouit de l’attachement des auteurs à l’inaliénabilité du droit moral et au souhait fréquemment exprimé par les signataires de voir la publication numérique assortie d’une rémunération juste et équitable. Cet élan donne une réponse claire à la volonté exprimée au niveau européen de résoudre le problème des œuvres orphelines par une nouvelle exception au droit d’auteur. Pour la Société des Gens de Lettres, c’est une raison supplémentaire d’appuyer un projet qui prévoit une rémunération substantielle de l’auteur. 8/ L’ayant droit est-il dépossédé de ses droits ? Bien évidemment non. Des commentaires excessifs ont parlé de « confiscation », voire de « propriété nationale » à propos de cette loi. Or le mot « cession » n’est pas utilisé. L’ayant droit fait apport à la société de perception et de répartition (qui est une société civile soumise aux dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle) de ses droits, que celle-ci exerce pour lui. C’est précisément parce qu’elle n’est pas cessionnaire des droits que la SPRD agréée doit être explicitement investie de la qualité pour agir en justice. C’est une des principales différences entre cette loi et le principe de l’exception, qui prive l’auteur d’une partie de ses droits.


Source: RUE 89 – Communiqué Société des Gens de Lettre (SGDL)