Peut-on faire jouer l’exception de courte citation en matière de photographie?

C’est à cette question que la première chambre civile de la Cour de cassation répond dans un arrêt rendu le 22 janvier 2009 ( Civ. 1re, 22 janvier 2009, F-P+B, n° 07-21.063).

Les faits de l’espèce sont les suivants : le magazine New Look publie en 2001 un reportage comportant des photographies d’une championne de ski dénudée. Trois ans plus tard, le magazine Entrevue utilise pour illustrer un article à caractère polémique à propos de la même championne, une photo issue de ce reportage, dont le format a été réduit.

Assignée en contrefaçon et en concurrence déloyale pour avoir reproduit la photographie sans autorisation des titulaires de droit, Entrevue se prévaut de l’exception de courte citation de l’article L 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, en vertu duquel les auteurs ne peuvent pas s’opposer aux « analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées »

La Cour d’appel de Paris accepte de faire jouer cette exception, en qualifiant la photographie « d’information démonstrative » dans un arrêt en date du 2 février 2005.

Sa décision est infirmée par la Cour de cassation le 7 novembre 2006. En effet, selon une jurisprudence constante, « la reproduction intégrale d’une oeuvre quel que soit son format, ne peut s’analyser comme une courte citation. » (Assemblée Plénière, 5 novembre 1993).

La Cour d’appel de renvoi décide dans un arrêt du 12 octobre 2008 que l’exception de courte citation doit être interprétée à la lumière de l’article 5 de la directive du 22 mai 2001, qui prévoit une liste d’exceptions et limitations au droit de reproduction et au droit de communication au public, qui sont soit obligatoires, soit facultatives.

L’article 5.3 c), qui a pour objet « l’exception d’information », dispose que « Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus (…) lorsqu’il s’agit de l’utilisation d’œuvres ou d’autres objets protégés afin de rendre compte d’un événement d’actualité, dans la mesure justifiée par le but d’information poursuivi (…) »

Au cours de la procédure, la loi du 1er août 2006 dite loi DADVSI transposant la directive du 22 mai 2001 est entrée en vigueur. Elle ajoute un 9t à l’article L122-5 en autorisant «La reproduction intégrale ou partielle, dans un but d’information, d’une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, lorsqu’il s’agit de rendre compte d’événements d’actualité, dans la mesure justifiée par le but d’information poursuivi et sous réserve d’indiquer, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, lorsque cette reproduction est faite de manière accessoire ou que l’œuvre a été réalisée pour être placée en permanence dans un lieu public. »

Cet article reprend l’exception d’information, mais en réduit considérablement la portée puisque son champ est limité aux seules œuvres graphiques, plastiques et architecturales.

Selon la Cour de renvoi, si ce nouvel article était appliqué, il permettrait l’usage de la photographie.

La Cour de cassation casse l’arrêt, aux motifs que « les dispositions de la directive européenne (…) relatives à l’exception aux fins d’information, n’étaient que facultatives et ne pouvaient servir au juge national de règle d’interprétation pour étendre la portée d’une disposition de la loi nationale à un cas non prévu par celle-ci ».

La Cour de renvoi a donc eu tort d’utiliser une des exceptions prévues par la directive alors que celle ci n’avait pas été complètement reprise par l’Etat français, et de surcroit n’était pas encore transposée.

Tant qu’un texte communautaire n’est pas transposé en droit national, le juge n’est donc pas tenu de suivre les dispositions supranationales pour interpréter la loi française, et ce, malgré la condamnation de la France pour non-transposition dans les délais (la date limite de mise en conformité avec le droit communautaire était fixée au 22 déc. 2002).

On peut se demander si la solution aurait-elle été la même après l’entrée en vigueur de la loi? Ce n’est pas sûr. En effet, l’article L122-5 9t alinéa 2 prévoit une exception à l’exception, valable pour les photographies, en ce qui concerne les oeuvres qui visent elles même à rendre compte de l’information : « Le premier alinéa du présent 9° ne s’applique pas aux oeuvres, notamment photographiques ou d’illustration, qui visent elles-mêmes à rendre compte de l’information. »

En l’espèce, la photographie d’une skieuse dénudée, pour démontrer des impostures de celle-ci a-t-elle pour effet de rendre compte de l’information? La réponse à cette question dépend de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Ainsi, quand bien même l’article L122-5 aurait pu être invoqué, ce n’est pas certain qu’il eut été appliqué. La jurisprudence devra définir les contours de ses applications.


Source : Dalloz.fr, Code de la Propriété Intellectuelle, notes sous l’article L122-5